Une brève histoire des pandémies Gratuit
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ANALYSE. Les pandémies sont des phénomènes naturels depuis la Haute-Antiquité. Démunis sur le plan médical, les médecins luttaient contre elles par l’exode, la quarantaine et la séquestration des malades. La covid-19, particulièrement peu meurtrière, est traitée par les gouvernements comme s’il s’était agi de la peste noire. Elle tue cependant moins les Hommes qu’elle n’achève nos systèmes hospitaliers fragilisés par des décennies de mauvais choix politiques.

0,15 à 0,2%. Tel est le taux de mortalité des patients infectés par le coronavirus selon les calculs de John P.A. Ioannidis, épidémiologiste, chercheur et professeur de médecine à l’Université de Stanford en Californie. Pour trouver ce chiffre, cet éminent spécialiste des statistiques médicales a passé en revue 61 études sur les morts attribuées à la Covid-19 en provenance de 51 pays différents¹. Pour comparaison, on estime le taux de mortalité des 1 personnes infectées par la grippe saisonnière à 0,2%.
Comment une maladie avec un taux de mortalité aussi bas peut-il mettre la moitié du monde à l’arrêt et créer une panique collective ? La psychologie sociale, les politiques européennes qui ont méthodiquement affaiblis les hôpitaux ou l’étude des médias et des réseaux sociaux peuvent apporter des éléments de réponses. L’histoire en apporte d’autres. Depuis quelques décennies, le spectacle de la mort est sorti de nos vies. Les veillées funèbres à la maison sont devenues rarissimes alors qu’elles étaient encore banales dans les années 1950. La mort est ainsi devenue une chose abstraite. Une véritable injure à la vie.
Mais nos mémoires sont aussi courtes. Le confort de nos vies ronronnantes nous a fait oublier que les pandémies sont un phénomène naturel contre lequel l’humanité doit lutter plusieurs fois par siècles. Dans l’Antiquité romaine, les épidémies étaient nommées pestis. Elles ne désignent pas encore la peste mais toutes les maladies contagieuses dont les vagues imprévisibles sont particulièrement meurtrières.
Ce que les historiens appellent la peste antonine est en réalité une série d’épisodes varioliques qui signent la fin de l’âge d’or de l’Empire romain. En 165 apr. J.-C., une pandémie dont le foyer est la Mésopotamie frappe toute la Méditerranée en suivant les déplacements de l’armée le long des routes et les voies commerciales maritimes. À Rome, c’est l’hécatombe. Les médecins de l’époque affrontent avec des moyens dérisoires la variole dont le taux de mortalité est estimé à 15%. La maladie connaît de nombreuses répliques assassines pendant presque 30 ans et d’autres encore, mais de moins en moins virulentes, jusqu’au milieu du IIIème s. apr. J.-C. Il a s’agit du temps nécessaire pour que la population se fasse une immunité collective en payant un lourd tribut de morts. Mais rappelons-nous que la variole ne sera éradiquée selon l’OMS qu’en 1980 grâce à un vaccin.
D’une peste à l’autre
La première véritable peste due à la bactérie Yersinia Pestis identifiée par Alexandre Yersin en 1894 commence en 541 en Afrique ou au Moyen-Orient. Elle sévit par à-coups jusqu’au VIIIe siècle. Dans les premières vingt-cinq années de pandémie, elle tue 6,5 millions de personnes dans l’Empire Byzantin. Le taux de mortalité de la peste bubonique est alors estimé entre 40 et 75%. Si les plus riches sont partis pendre l’air à la campagne en diffusant avec eux le bacille, les plus pauvres restent en ville et prient dans les églises pour apaiser le courroux de Dieu car la maladie est nécessairement un fléau divin. Les messes nombreuses sont autant de foyers épidémiques qui favorisent aussi, mais à un coût élevé, l’immunité collective. Outre les morts, la peste affaiblit l’empire parce qu’elle pousse l’empereur à augmenter les impôts alors que l’activité commerciale se réduit et provoque des disettes faute de bras pour moissonner les champs.
La peste noire de la fin du Moyen Âge est mieux renseignée que les précédentes pandémies. Cette peste pulmonaire hautement contagieuse mortelle dans 100% des cas décime un tiers des européens entre 1347 et 1352. Venant d’Asie par l’Italie, la maladie suit, comme à son ordinaire, les routes commerciales. Elle s’épanouit dans les quartiers les plus populaires des villes où la promiscuité et le manque d’hygiène permettent aux rats de pulluler. Mais ces rongeurs ne sont pas eux-mêmes les vecteurs de la pathologie. Leurs puces sont coupables et nos lointains aïeuls vivent au quotidien avec ces parasites plein leurs vêtements. Après une période d’incubation allant de 16 à 23 jours, le malade meurt en 3 à 5 jours. Les pauvres sont les plus touchés. Cela crée à leur encontre une défiance généralisée et persistante. Dans les monceaux de cadavres, on trouve en surnombre des boulangers, des bouchers, des équarrisseurs, des tanneurs et des fossoyeurs soit tous les corps de métiers qui attirent les 2 rats. Parmi les riches, les plus touchés sont les médecins, les notaires et les prêtres car leurs fonctions les poussent à fréquenter les familles des malades.
Pour tenter de juguler la progression de la mort noire, les médecins inventent de nouvelles théories. Les aéristes et les contagionistes s’affrontent. Les premiers pensent que les miasmes de la maladie se diffusent dans l’air. Pour se prémunir de la pestilence, il est nécessaire de porter des masques imprégnés d’épices et de faire des feux dans les rues. Les célèbres médecins de Venise avec leur combinaisons noires et leurs masques à long bec donnent une bonne impression de leur apparence. Les seconds pensent que le mal se transmet par le contact avec les malades et qu’il faut les isoler. Les avancées de la médecine prouveront que ces camps irréconciliables avaient en réalité tous deux raison. Mais la peste ne s’éteint pas avec la fin de la pandémie de peste noire. La pathologie va et vient sournoisement jusque dans les années 1920 à Paris ! Lors des poussées épidémiques, on la combat par l’exode hors des villes (pour les plus réactifs et les plus riches), la quarantaine des maisons frappées par le mal et désignées à la vindicte populaire par un marquage spécifique ou encore la séquestration des malades dans leurs maisons ou dans des mouroirs dépendant généralement des hôpitaux. La peste existe toujours et selon l’historien Frédérique Audoin-Rouzeau, auteur de Les Chemins de la peste (Tallandier, 2007), elle reviendra. Tenez-vous le pour dit !
Comme il serait vain de faire une chronologie exhaustive des pandémies, laissons de côté 2000 ans d’épidémies de choléra, les nouvelles vagues de variole, le typhus, la rougeole, la malaria, la tuberculose ou la poliomyélite de nos grands-parents. Les épisodes pandémiques ont souvent rempli des fosses communes creusées dans l’urgence. Le XXe siècle a connu des épidémies de toutes ces pathologies en plus de trois pandémies.
La grippe ? La belle affaire !
La grippe espagnole (H1N1), probablement partie du Kansas en 1917, s’est répandue dans le monde entier concomitamment à la fin de la première guerre mondiale. La journaliste Laura Spinney, auteure de La grande tueuse, comment la grippe espagnole a changé le monde (Albin Michel, 2018) rappelle que son taux de mortalité est de 2,5%. Mais surtout, la maladie fauche les 20-40 ans que la guerre a laissé sur pieds. Ainsi le poète Apollinaire meurt de cette maladie et non des obus qui ont nourris sa prose pendant les quatre années précédentes. Il s’avère que dans le cas de cette pandémie, les personnes âgées ont été protégées par des anticorps développés contre des souches de la grippe avec lesquels ils avaient été en contact 3 dans leur jeune temps. Les adultes démunis ont à l’inverse payé le prix fort. Mais Laura Spinney remarque que la nature a fait son œuvre en emportant les plus fragiles. Les personnes pourvues des moins bons systèmes immunitaires sont mortes avant d’avoir eu le temps d’essaimer leur ADN… La génération née dans les années folles semble ainsi tirer un bénéfice secondaire de la maladie car leur espérance de vie, couplée au progrès de la médecine, a dépassé les 80 ans.
L’Europe accepte la pandémie de grippe espagnole avec fatalité. Cela explique pourquoi le port du masque ne prend guère à Paris alors que quelques médecins avant-gardistes le prônent. Mais il faut dire que d’autres médecins s’opposent au port du masque aussi néfaste au moral qu’à l’esthétique selon eux. La population, quant à elle, considère qu’après la guerre, ceux qui redoutent la grippe sont des lâches et que ce n’est pas grand-chose à côté des drames que vivent les traumatisés et les gueules cassées revenus des tranchées.
Les États-Unis n’ont en revanche pas connu les horreurs de la guerre sur leur territoire. L’idée du port du masque passe mieux auprès des populations sauf à San Francisco. Les autorités de cette ville ont voulu juguler l’épidémie en fermant d’autorité les lieux publics et en rendant les masques obligatoires. Passer par la contrainte plutôt que par la collaboration génère sans surprise un mouvement de rejet. Cette privation des libertés donne naissance au premier mouvement anti-masque. Force est de constater que la seconde vague de l’épidémie a été un peu plus meurtrière à San Francisco qu’à New York… Mais les années folles ont déjà commencé et la population mondiale préfère danser et regarder les mollets fraichement dénudés des filles plutôt que de compter les cadavres. La grippe espagnole aurait tout de même moissonné entre 50 millions et 100 millions de personnes dont 250 000 en France en 3 ans. Mais à l’échelle de la mémoire collective des Français, ce n’est pas grand-chose à côté des 112 000 morts Franco-Britannique en une seule semaine lors de la bataille de la Marne en 1914 ou des 362 000 victimes de Verdun en 1916…
Entre 1957 et 1961, une nouvelle pandémie part de Singapour. Cette grippe asiatique (H2N2) fait 1 à 4 millions de morts dans le monde et laisse derrière elle une immunité partielle qui réduit l’impact de la grippe de Hong Kong de 1968 à 1969 qui ne fait qu’un million de mort dans le monde dont 40 000 à 17 000 en France selon les estimations. Les médias ne parlent pas de cette pathologie. La France regarde alors les étudiants se déverser dans les rues. Il est interdit d’interdire et surtout, il faut jouir sans entrave. La grippe ? La belle affaire ! Les enfants des Trente Glorieuses s’en fichent et la psychose se trouve bien démunie face au dédain collectif.
La covid-19, une maladie de l’hôpital
La covid-19 n’est pas la première pandémie du XXIe siècle. Il y a eu le SRAS en 2003. La grippe H1N1, la grippe espagnole donc, est revenue en 2009². Le MERS-CoV de 2012, un autre coronavirus, a provoqué la mort de 35% de patients infectés³.
Au 10 novembre 2020, la France compte 40 987 morts du coronavirus soit un peu plus que l’estimation haute de l’insignifiante grippe de Hong Kong. L’âge médian des morts du coronavirus en France est de 84 ans. Dans notre pays, l’espérance de vie est de 85,7 ans pour les femmes et de 79,8 ans pour les hommes⁴…
Nous affrontons la pandémie la moins terrible de l’histoire mais elle sature nos hôpitaux fragilisés par les politiques de restrictions budgétaires. En réalité, ce sont nos systèmes de santé qui sont malades de la covid-19. Cette pathologie, à de rarissimes exceptions près, épargne les jeunes générations et réduit l’espérance de vie de nos aînés de quelques mois seulement. Cette simple analyse des faits devrait nous soulager et pourtant, la covid-19 entrera dans l’Histoire comme la pandémie de l’hystérie collective.
Nous n’avons hélas pas la résilience de ceux qui ont connu l’horreur de la guerre ni la rage de vivre d’une génération qui faisait la révolution pour jouir. Assommés par le décompte quotidien et dépourvus de sens des morts, notre génération blasée a peur de vivre mais aussi de mourir. Et pourtant, l’histoire montre que les crises économique, sociale et morale qui suivent inéluctablement les pandémies sont plus à craindre que la covid-19. Mais s’il nous faut nous raccrocher à un espoir, rappelons-nous que la Renaissance a fleuri sur les cadavres de la peste noire. L’humain se transcende toujours face à l’adversité et la rapidité avec laquelle la recherche mettra au point un vaccin le prouvera encore.
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Basculement du modèle de société, délitement de l'État de droit, influence sur les élections présidentielles... Entretien avec Jean-Frédéric Poisson, président du parti VIA - La voix du peuple.
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Dans une tribune publiée ce dimanche dans Le Parisien, David Smadja, professeur en hématologie, et Me Benjamin Fellous, avocat au barreau de Paris, ont appelé à « sanctionner ceux qui refusent le vaccin et transmettent le virus », ainsi que « ceux qui colportent des fausses informations sur la pandémie de Covid-19 » au titre de la mise en danger de la vie d'autrui. Une tribune politique, selon Me Diane Protat, qui étrille un texte selon elle dénué de tout fondement juridique.