Limite et proportionnalité (partie 1) Gratuit
Thèmes abordés
Bas les Masques vous propose de retrouver une grande étude du professeur Jean-François Toussaint sur la mortalité du Covid-19. Dans cette première partie, il démontre avec précision que le nombre de décès est principalement associé à l’état de santé général des populations et ne dépend pas des mesures politiques prises par les gouvernements. Il revient également sur la notion de « deuxième vague » qui correspond en réalité à un premier pic épidémique dans les régions qui n’avaient pas été massivement touchées au printemps dernier.

Les observations d’une étude récemment publiée dans Frontiers in Public Health[1] permettent de hiérarchiser nos risques et nos réponses. Ses conclusions sont de trois ordres.
1. Les principaux facteurs métaboliques (âge, sédentarité, maladies cardio-vasculaires, etc.) détectés dès les 1ères publications chinoises de février, les critères de développement et les paramètres géographiques et climatiques (repérables dès le mois de mars avec, par exemple, l’écart maintenu entre pays d’Afrique et d’Europe) expliquent une très grande partie de la mortalité Covid.
2. L’opposition entre pays développés et pays émergents est extrêmement puissante sur tous les critères (jeunesse vs proportion des sujets très âgés, marge de progression vs développement achevé, poids des maladies infectieuses vs maladies dégénératives non transmissibles, activité vs sédentarité, …). À ce titre, les deux schémas de l’article reproduits ci-dessous (Figure 1a & 1b) sont aussi importants l’un que l’autre : le premier montre la part de ces déterminants, le second la place respective des pays.

Les USA sont à chaque fois parmi les plus exposés en termes de développement, d’âge, d’obésité, de sédentarité, de maladies cardio-vasculaires, de cancers… ils associent tous les facteurs et cumulent tous les risques. À cela s’ajoutent les critères socio-économiques qui ont leur rôle dans la différence entre le Bronx, le Queens et Manhattan ou entre le 93 et le 75 en Île de France ; mais ces inégalités ne sont pas spécifiques du Covid, on les retrouve dans la plupart des autres pathologies.
Le critère climatique, avec un optimum de propagation dépendant de la température, est le deuxième critère majeur. Il explique le phénomène de bascule hémisphère nord au printemps, hémisphère sud cet été, puis la ré-ascension automnale de l’hémisphère nord. Cette hypothèse avait été soulevée dès le mois d’avril alors que la possibilité d’une saisonnalité était quasiment taboue dans le débat français.
3. Les réponses des états ne montrent pas d’association avec la mortalité. Elles semblent au contraire n’intervenir que secondairement à l’élévation du nombre de décès. Au 1er janvier 2020, le confinement dans la littérature scientifique n’avait aucun critère d’efficience connu. La méthodologie nécessaire pour valider son efficacité et son coût sociétal aurait dû, comme pour les masques en milieux ouverts [1], être suggérée à plusieurs pays ou régions du monde avec, a minima, groupes contrôles et randomisation. Or nous n’avions jusqu’à la publication de Frontiers que des études de simulation post-hoc reprenant les hypothèses initiales des mêmes algorithmes simulateurs. Démonstration n’a toujours pas été faite de la réussite de ces méthodes sur la réduction de mortalité ni de la réalité de leur rapport bénéfice/risque.
C’est également le cas des indicateurs de soutien économique qui montrent même une association positive avec le taux de mortalité. Or on ne peut imaginer, pour l’instant du moins, qu’un soutien de cette nature augmente le nombre de décès. Aucune société n’est prête à payer pour constater plus de morts. La relation temporelle inverse est, de fait, plus crédible : plus la mortalité s’élève, plus l’intensité du confinement s’accroit et plus le soutien économique augmente au regard des dégâts économiques redoutés. Autrement dit, à l’échelle mondiale, il ne s’agit pas d'un outil préventif permettant de réduire secondairement la mortalité, mais d’une mesure réactionnelle, adoptée avec la montée de vague, aux seuils d’alerte successifs. La charge de confinement se résout ensuite, lorsque la vague redescend.
On avait pu observer ce mécanisme dès le mois de mars [2]mais il est apparu encore plus clair en France durant le mois d’octobre. Les effets de ralentissement spontané ont en effet abouti à une rupture des pentes de progression avant les effets attendus du confinement (pourtant 3 fois moins efficace en termes de réduction de mobilité que celui du printemps [3]) voire, pour les eaux usées, avant le confinement (les couvre-feux étant, sans conteste, encore moins influents sur la réduction des interactions humaines diurnes).
De quoi cette deuxième vague est-elle le nom ?
Si les critères de dépendance à la température forment le cadre dans lequel peut survenir une saisonnalité du virus, d’autant plus létale que les facteurs pré-disposants sont nombreux, le troisième critère majeur est celui de l’immunisation des populations.
La progression actuelle en France, en Europe et Amérique du Nord montre en effet que les régions les plus touchées au printemps (New Jersey, Massachusetts, Connecticut, Grand Est, Haut-Rhin, Figure 2) enregistrent une ré-élévation de mortalité inférieure, avec un ratio novembre/avril souvent d’un ordre de grandeur plus faible que celui des régions initialement peu touchées (Loire, Savoie, Tchéquie, Pologne, …).
À l’inverse, dans les régions épargnées en avril, la progression épidémique est beaucoup plus importante. Le combat a repris à l’automne là où il avait cessé au printemps. Ces pays d’Europe de l’Est (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Ukraine), ces régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie) ou ces départements (Loire, Haute-Loire, Allier, Savoie, Isère, Gard, Vaucluse, Tarn, Haute-Garonne, Pyrénées, …) sont ceux où le virus a vu sa propagation ralentie par l’augmentation des températures à l’arrivée de l’été.

Ceci suggère là encore une dépendance de l’épidémie aux deux facteurs : cycles saisonniers et progrès de l’immunisation collective. En termes épidémiologiques, il n’y a donc pas eu en France, à proprement parler, de deuxième élévation mais une première vague dans deux tiers des départements qui n’avait pas ou peu été touchés en mars-avril.

Leurs taux de mortalité se trouvent maintenant plus de 3 fois (Départements Français, Figure 3ci-dessus) à 15 fois supérieurs (Pays de l’Est Européen, Figure 4 ci-dessous) à ceux enregistrés au printemps. Cette nouvelle phase montre donc une différence importante de comportement entre les zones touchées au printemps et celles qui ne l’ont pas été, ou peu. L’immunité des populations est probablement le facteur principal de cette différenciation.

Les régions françaises principalement concernées par la vague de printemps (Grand-Est, Ile de France) ont donc connu au cours de cette deuxième vague des pics de mortalité au quart de celle d’avril. Leur taux de mortalité globale augmentera ensuite conformément à l’élévation observée chaque année, le pic étant atteint au plus froid de l’hiver, à la fin du mois de janvier. Des lits d’hospitalisation et de réanimation disponibles dans les établissements non saturés de ces régions (Grand Est, Ile de France, Figure 5), ou dans celles qui n’ont pas vécu de phase épidémique (Ouest), ont légitimement permis d’accueillir des patients d’Auvergne, de Rhône-Alpes ou d’Occitanie. Mais certains services ont, comme en avril, à nouveau fonctionné au ralenti, à ce point dans Paris intra-muros, qu’on a pu y refermer certains services d’urgence.

Fallait-il pour cela reconfiner un pays entier et les régions non concernées (Bretagne et régions de l’Ouest) plutôt que de déployer les moyens là où étaient les besoins, à Saint Étienne, Lyon, Grenoble ou Chambéry, sachant que les modélisations françaises, annonçant une deuxième vague plus haute que la 1ère, sont passées à côté du ralentissement spontané de l'épidémie fin septembre, erreur qui aboutira au 2èmeconfinement national un mois plus tard. [1]
Pays Scandinaves
La Suède connait actuellement une ré-augmentation du nombre de décès quotidiens mais leur pente d’accroissement est 3 fois inférieure à celle du printemps. Ce phénomène est identique à ce qui se passe au Danemark, en Norvège et en Finlande. Une ré-augmentation est également visible dans ces trois pays et leur pente d’accroissement est 3 fois inférieure à celles de mars-avril. Il existe donc un phénomène commun pour ces pays avec une deuxième phase trois fois plus lente qu’au printemps. Or on ne peut penser que la Suède n’ait pas tenu compte du décalage avec ces voisins ni de l’expérience des autres pays. Elle a notamment adapté ses plans au regard du risque des personnes âgées et annoncé des mesures au début de ce mois qui paraissaient en contradiction avec la politique sanitaire menée jusque-là. Il semble donc que des paramètres intrinsèques, à préciser (organisation des systèmes de soin, mode de comptage des décès, regroupement des plus âgés dans des chambres collectives vs hébergement individuel [2]…), puissent être à l’origine des différences entre pays scandinaves sans qu’on puisse les attribuer à une absence de précaution ou à "l’abandon" d’une partie de leur population. Quoi qu’il en soit, le nombre total de décès en Suède (autour de 7000 au 1er décembre 2020) reste toujours 10 fois inférieur à ce qui avait été prédit en mars et, sans confinement, leur surmortalité jusqu’à la semaine 48 n’est pas en faveur d’un excès actuel, contrairement à la phase d’avril (Figure 6).

De fait, le score de surmortalité et l’analyse a posteriori des causes de décès comparées seront les deux critères finaux d’appréciation réelle de cette pandémie, du moins pour les pays dont les systèmes statistiques sont suffisamment développés. L’impact sur les différentes tranches d’âge nécessitera aussi qu’on mette en regard les mesures prises, leurs effets prouvés et non seulement escomptés, et leur poids réel sur de très nombreuses catégories de la population, dont on a souvent voulu faire croire qu’elles portaient la responsabilité de cette épidémie. Ces évaluations seront indispensables et devront se fonder sur les indicateurs épidémiologiques conventionnels (DALY, QALY, EVCI …) qui n’ont pas été utilisés jusqu’alors.
Les états, comme les individus, semblent donc ne disposer que d’une marge très étroite pour limiter la propagation virale, au-delà des grands facteurs qui les pré-déterminent. Une fenêtre temporelle a probablement existé dans les phases précoces de l’expansion pandémique - ce qu’ont mis à profit la Corée du Sud, Taiwan et le Japon, dès janvier. La fenêtre européenne est probablement restée ouverte jusqu’en février [1]. Ensuite, ce fut trop tard. Les évolutions spontanées de l’expansion pandémique l’ont emporté sur les tentatives d’y répondre.
Il est à noter cependant que les états ayant mis en place les confinements les plus précoces et les plus restrictifs laissent leur population à la merci de toute ré-entrée virale, même minime. Ce fut le cas de la Nouvelle-Zélande cet été. Leur population doit donc rester sous surveillance absolue jusqu’à disparition du virus (hypothèse vraisemblable sur une île, mais de moins en moins probable à l’échelle planétaire) ou jusqu’à son immunisation vaccinale (puisque la voie de l’immunité collective n’y a pas été retenue). Les prochains mois nous montreront comment et à quel coût cette voie, si elle correctement régulée, se révèlera la meilleure.
En revanche, la situation qui résulte des choix européens du printemps (pas d’interruption des entrées continentales 5) ne permet désormais plus de considérer l’éradication virale comme possible. Deux options, complémentaires l’une de l’autre, demeurent donc : l’immunisation spontanée ou l’immunisation vaccinale. Pour cette dernière, il faudra, comme partout ailleurs et pays par pays, anticiper son efficacité en population (phase IV), sa tolérance (effets secondaires de long terme) et son acceptabilité.
Immunité, saisonnalité et dégâts collatéraux
Au total, les principaux facteurs de morbi-mortalité réunissent donc les déterminants pré-pandémiques (ce sont les facteurs de risque vus aux points 1 & 2), la saisonnalité et l’immunisation des populations. Leur effet cumulé reste très supérieur à celui des tentatives de réaction sociétale, dont il faudra là aussi évaluer tous les impacts de long terme. Car ces mesures de restriction, de type couvre-feu ou confinement, ont été adoptées hors de toute démonstration de leur efficacité [2]et le plus souvent après qu’un mécanisme spontané de ralentissement a déjà été enclenché. Elles permettent néanmoins de justifier certains choix au nom dubien de tous ; les personnes touchées par les licenciements, les faillites, la dégradation de leurs conditions socio-économiques et sanitaires et leur entrée dans la précarité apprécieront leur sacrifice à cette "juste" valeur.
En même temps, de nombreux patients se détournent du système de soin et, par crainte le plus souvent, s’éloignent d’une prise en charge optimale. Ceci a conduit la Ligue contre le Cancer, confrontée comme la plupart des autres associations de patients, au déclin de leurs ressources et à une chute considérable des dons en leur faveur, à se prononcer contre la disproportion des mesures gouvernementales, l’impréparation des instances, et à annoncer une élévation de la mortalité prématurée dans les prochaines années par renoncement aux soins, inaccessibilité aux instruments de dépistage ou de diagnostic, ou par le recul des prises en charge chirurgicales (report) ou thérapeutiques (suivi dégradé).
À cela s’ajoutera la diminution drastique des moyens financiers pour tout le système de soins résultant de l’effondrement économique en cours. Or sur les plus de 150 milliards d’euros dépensés (pour empêcher notamment les gens de travailler sans qu’on en voie d’effet mesurable sur la mortalité), une redistribution ne serait-ce que d’un dixième (15 milliards), destinée à répondre directement aux besoins de prise en charge aiguë, aurait permis d’améliorer la réalité quotidienne de ces patients, Covid ou non.
[1] De Larochelambert Q, et al. Covid-19 mortality : a matter of vulnerability among nations facing limited margins of adaptation. Front Public Health, 2020.
[2] Bundgaard H, et al. Effectiveness of Adding a Mask Recommendation to Prevent SARS-CoV-2 Infection in Danish Mask Wearers », Annals of Internal Medicine, 18 nov 2020.
[3] Meunier TAJ. Full lockdown policies in Western Europe countries have no evident impacts on the COVID-19 epidemic. MedRXiv, 2 mai 2020.
[4] Pullano G, et al. Evaluating the effect of demographic factors, socioeconomic factors, and risk aversion on mobility during the COVID-19 epidemic in France under lockdown: a population-based study. Lancet Digit Health, October 28, 2020.
[5] « Nous nous sommes trompés … Nous avons mis du temps à détecter un ralentissement de l'épidémie fin septembre » https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement/grand-entretien-covid-19-troisieme-vague-mortalite-erreur-de-pronostic-le-modelisateur-qui-oriente-le-gouvernement-detaille-le-dessous-de-ses-calculs_4202809.html
[6] Brown KA, et al. Association Between Nursing Home Crowding and COVID-19 Infection and Mortality in Ontario, Canada. JAMA Intern Med, November 9, 2020.
[7]Rito T, et al. Phylogeography of 27,000 SARS-CoV-2 Genomes: Europe as the Major Source of the COVID-19 Pandemic. Microorganisms 2020, 8, 1678
[8]Résultats de la seule étude scientifique européenne, randomisée contrôlée, sur le port du masque en extérieur : « A recommendation to wear a surgical mask when outside the home did not reduce, at conventional levels of statistical significance, incident SARS-CoV-2 infection compared with no mask recommendation ». https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/M20-6817
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