La publicité, un outil historique de santé publique entre propagande et manipulation Gratuit
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De nombreux Français ont été scandalisés par les publicités culpabilisatrices du Ministère des Solidarités et de la Santé au sujet des gestes barrières. La publicité au service de la santé publique mettait autrefois en scène des valeurs comme le patriotisme et le sens de la responsabilité. Elle joue aujourd’hui sur la peur en utilisant le marketing de la honte.

Comme beaucoup de Français, le spot publicitaire « choc » pour sensibiliser le public aux gestes barrières m’a mise mal à l’aise. Le 11 septembre dernier, le Ministère des Solidarités et de la Santé mettait en ligne puis diffusait en télévision un clip d’une minute et deux secondes. Sur un fond de musique anxiogène, on voyait des collègues de bureau se faire la bise amicalement et des lycéens s’étreindre à la sortie des cours. Le soir venu, les protagonistes se retrouvaient autour de la grand-mère et fêtaient joyeusement son anniversaire en multipliant les marques d’affection. Vingt et un jours plus tard, la grand-mère était en réanimation. Le slogan apparaît à la fin de cette scène tragique : « Ensemble, continuons à appliquer les gestes barrières. »
Mais la morale découlant de ces images est toute autre. Le spot nous dit en sous texte « Si vous continuez à vivre normalement, vous tuerez vos grands-parents, vous déborderez notre système hospitalier et le personnel soignant devra pallier votre inconséquence. »
Ce spot a largement choqué les Français car il utilise la culpabilisation pour modifier nos comportements quotidiens plutôt que la raison et la peur plutôt que le sens de la responsabilité. La culpabilisation est un outil de manipulation extrêmement malsain.
Le gouvernement français n’est cependant pas le seul à utiliser cette émotion. En Espagne, une pub montrant un anniversaire en famille conduit papy en réanimation… ou la morgue. La publicité est volontairement floue sur l’épilogue. Au Royaume-Uni, le clip dans lequel le Père Noël arrive en réanimation a beaucoup perturbé les enfants… et leurs parents.
Les réactions négatives d’une partie de la population à ces publicités sont rassurantes. Celle-ci n’est pas rétive à la pédagogie et nous avons massivement pris conscience de l’importance des gestes barrières. Pour autant, faire de la moindre marque d’affection entre amis ou en famille un homicide sans intention de donner la mort est intolérable. Comment en sommes-nous arrivéslà ? Depuis quand le gouvernement use-t-il la culpabilisation pour lutter contre les maladies dans ses publicités ? Encore une fois, l’histoire permet de mieux comprendre le présent.
Rockefeller et la propagande anti-tuberculose
Aujourd’hui, la tuberculose est devenue une maladie abstraite. Elle ne touche presque plus personne en France. On peut même être contaminé par le bacille tuberculeux sans en développer les symptômes car nous sommes globalement en bonne santé. La tuberculose a cependant fait 1,8 millions de morts dans le monde en 2015 selon l’OMS. En date du 13 Février 2021, on recense 2 384 000 morts de la covid depuis le début de l’épidémie. Les chiffres sont donc comparables.
Mais au XIXe siècle en France, la tuberculose est perçue comme un fléau. Comme l’expliquent Patrick Berche et Stanis Pérez dans leur ouvrage Pandémies, des origines à la Covid 19 qui paraîtra chez Perrin le 1er avril 2021, la maladie fauche la population de 15 à 45 ans, soit les forces vives du pays. Le bacille est particulièrement meurtrier pendant la première guerre mondiale et décime des générations déjà en proie à la boucherie des tranchées et à la grippe espagnole. 12% de la population française meurt chaque année de cette maladie pendant la guerre. C’est un triste record européen. Les phtisiques ne sont pas repérés assez tôt par les médecins de l’armée. Nombre d’entre eux ne sont pas réformés et contaminent leurs camarades sur le front.
Or, à partir de 1916, les Américains viennent grossir les rangs des alliés et les doughboys (en référence aux doughnuts), contractent la maladie. Évidemment, les Américains s’agacent de voir leurs effectifs souffrir de consomption et décident d’agir à travers la Fondation Rockefeller.
La Fondation Rockefeller est née en 1913 à l’initiative de l’homme d’affaire John Davison Rockefeller. Elle a pour mission de promouvoir « le bien-être de l’humanité dans le monde ». Son action est louable et objectivement très bénéfique. Cependant, elle a aussi pour rôle – à l’époque – de redorer le blason de la compagnie de raffinerie Standard Oil de Rockefeller accusée de faire des profits illicites en s’arrogeant des terres, en polluant et tentant d’établir un monopole.
Toujours est-il qu’en 1917, au nom de la protection de l’armée américaine, la Fondation Rockefeller envoie un de ses membres, Hermann Biggs, rencontrer Jules Brisac, le directeur de l’Assistance et de l’hygiène publique. L’idée est de convaincre la France d’accepter l’aide de la Fondation pour mettre en place une véritable propagande d’éducation sanitaire en parallèle de la création de dispensaires, de sanatoriums et de méthodes d’analyse statistiques des chiffres de la maladie. Le plan d’action est efficace mais comme les Américains payent la note, ils imposent leur méthode et s’ingèrent dans les politiques de santé publique des pays qu’ils aident. Ils véhiculent à travers leur plan de communication des éléments de leur propre culture : le recours à la réclame « choc » et leur passion hygiéniste, le tout mélangé avec des éléments de culture locale. Autrement dit, c’est la recette qui a permis au fast-food avec les deux arches dorées de s’implanter partout dans le monde.
Faire la guerre à la maladie
Comme la campagne a lieu durant la guerre, les dessinateurs d’affiches publicitaires pilotés par la Fondation Rockefeller empruntent les codes de la rhétorique martiale pour créer les premières réclames d’éducation sanitaire contre la tuberculose.
En 1917, Georges Capon et Georges Dorival créent l’affiche « 2 fléaux : le boche et la tuberculose. L’aigle boche sera vaincu, la tuberculose doit l’être aussi. » L’affiche montre un aigle sur le dos transpercé par une épée ensanglantée. En 1918, l’affiche est corrigée. Les mots « sera vaincu » sont remplacés par « est vaincu ». Le message publicitaire en appelle au patriotisme des Français et déplace la haine du boche vers la maladie pour la vaincre. Ainsi, Emmanuel Macron n’innove pas lorsqu’il utilise six fois dans son discours du 16 mars 2020 la phrase « nous sommes en guerre ». Il ne fait que recourir à une vieille astuce qui avait du sens en 1917 mais qui a laissé les Français du XXIe siècle quelque peu perplexes.

Georges Capon, Georges Dorival, 2 Fléaux, le boche et tuberculose, 1917.
https://calypso.bib.umontreal.ca/digital/collection/_guerre/id/1301/
L’idée d’une guerre contre la maladie se retrouve dans l’affiche d’Auguste Leroux en 1918. Dans cette pub financée par la commission américaine de préservation contre la tuberculose en France, une visiteuse d’hygiène (une infirmière sociale spécialisée dans la prévention et les soins contre la tuberculose) porte sur son bras gauche un enfant coiffé du bonnet phrygien dont le regard est tourné vers le spectateur.

Déterminée et altière, la visiteuse d’hygiène sauve les enfants français et ce faisant, sauve la Nation entière. Sur sa manche, on peut voir la croix de Lorraine. Ce qu’on appelait autrefois la croix patriarcale des patriarches Byzantins à la fin de l’Antiquité a ensuite été associée aux croisades dans l’imaginaire collectif. À la fin de la première guerre mondiale, elle devient le signe de ralliement du combat contre la tuberculose avant de devenir le symbole de la Résistance française pendant la seconde guerre mondiale.
Pour la petite anecdote, Macron a fait redessiner l’emblème de la présidence de la République en 2018 en y ajoutant la Croix de Lorraine. C’était dans son esprit une référence à De Gaulle. L’ironie de l’histoire, c’est que sans le savoir, il faisait aussi un clin d’œil à une croisade contre une maladie pulmonaire sans se douter qu’il aurait lui-même à mener une lutte historique contre une nouvelle maladie respiratoire !

Armoiries de la République Française depuis 2018
Mais revenons à notre affiche. La croix de lorraine sert encore à éveiller le patriotisme, la combativité et l’envie de faire nation en protégeant les plus vulnérables, c’est-à-dire les citoyens de demain. La publicité fait appel au sens de la responsabilité des Français en évoquant des épisodes glorieux de notre histoire. Le fer de lance de la lutte contre la maladie est la soignante comme l’explique le slogan : « La visiteuse d’hygiène vous montrera le chemin de la santé. Elle mène une croisade contre la tuberculose et la mortalité infantile. Soutenez-la ! » On retrouve la genèse de la mécanique mise en place lors du premier confinement pendant lequel les soignants étaient les soldats en première ligne dans la guerre contre la covid et nous les soutenions en les applaudissant le soir à 20h…
Au moins, dans cette affiche, il y a l’idée du mouvement. Un élan rassembleur. Tous les efforts sont tournés vers les jeunes générations et toutes les sociétés doivent normalement se mobiliser pour protéger leur jeunesse.
Or, de manière contre-intuitive, la covid a fait de nous des combattants passifs, allant jusqu’à glorifier l’inaction comme le démontre l’affiche de l’illustrateur Mathieu Persan en 2020 « Restez à la Maison, ça n’a jamais été aussi facile de sauver des vies ». Pas facile d’adhérer à un discours aussi anti-héroïque. Dans l’imaginaire collectif, quand on est en guerre, celui qui ne fait rien, qui se cache, est plutôt un lâche qu’un sauveur. On voit advenir à travers cette affiche un changement de paradigme social. On ne fait plus nation ensemble mais seul chez soi. Chacun devient potentiellement un ennemi mortel pour l’autre. La population, avant même le gouvernement, puisque cette affiche n’est pas une commande de l’État, semble adhérer à un message favorisant la paranoïa et le repli. Un tel modèle social sera nécessairement destructeur même si l’illustrateur a voulu vendre ses affiches dédicacées pour aider les soignants.

Mathieu Persan, Restez à la maison, mars 2020
En 1917, Le dessinateur Galais signe une affiche à destination des quartiers modestes des villes dont le slogan est « Un grand fléau, la tuberculose ». La maladie qui se diffuse par aérosol, comme la covid, est particulièrement répandue dans les quartiers urbains pauvres à forte densité de population car la promiscuité favorise la contamination. Sur l’affiche, on voit en haut à droite l’image effrayante de la Faucheuse prête à fondre sur les habitants vêtus de haillons et les enfants fouillant dans les poubelles.

F. Galais, Un Grand fléau, la tuberculose, 1917. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100511663
Cette campagne cherche à éduquer en priorité une population particulièrement touchée. Elle véhicule les valeurs hygiénistes très développées outre-Atlantique. L’idée sous-jacente est que la saleté et la promiscuité favorisent la maladie. Cette affiche pourrait être considérée comme stigmatisant un groupe social mais elle n’est pas culpabilisante.
Une fois qu’un groupe s’est identifié lui-même comme étant à risque, il accepte plus facilement de changer ses comportements. Pour mieux éduquer la population, la Commission américaine de préservation contre la tuberculose en France créé des affiches pédagogiques comme celles récapitulant aujourd’hui partout dans l’espace public nos gestes barrières.
Cette affiche pédagogique d’Armand Rapeño datée de 1918 à la rhétorique martiale intitulée « Combattez la tuberculose » est divisée en 5 parties.

Armand Rapeño, Combattez la tuberculose, 1918.
Dans le registre du haut, on voit les modes de contamination. L’idée de la propagation par aérosol et par la salive est parfaitement mise en scène.
À gauche, on voit les alliés de la tuberculose : l’alcool, le surmenage (les 35 heures n’existent pas encore), le manque d’aération des logements et la saleté, point de focalisation des hygiénistes.
Naturellement, à droite, on voit les ennemis de la tuberculose : le médecin, le grand air, le repos, la nourriture saine… autant de chose que n’ont pas favorisé les confinements.
Enfin, en bas de l’image, on voit les précautions à prendre, l’équivalent de nos gestes barrières mais ceux-ci sont réservés aux malades identifiés comme tels.
La partie centrale est la plus intéressante. Elle comporte un texte formé de phrases courtes : « Un décès sur huit est dû à la tuberculose. La tuberculose est un péril national. La combattre est un devoir patriotique. La tuberculose peut et doit être vaincue. Les Pouvoirs publics et les initiatives privées ont engagé la lutte contre ce mal. Soutenez-les, aidez-les. » On retrouve la rhétorique militaire, l’usage de l’impératif pour souligner l’injonction, l’appel au patriotisme et à la responsabilité collective et individuelle, l’espoir et le sens de l’action. Le message suscite l’envie d’y adhérer car il grandit celui qui suit ces conseils en tant qu’individu et tant qu’élément constitutif de la patrie.
Les affiches anti-tuberculose sont accompagnées par un timbre annuel à partir des années 1920 en France. Ces vignettes attisent le sens du devoir et glorifient les principes hygiénistes comme la propreté, thème de l’année 1930. Elles célèbrent aussi les avancées médicales. Le slogan de 1934 est « Calmette, sauveurs des tous petits », Calmette étant l’un des inventeurs du BCG. Celui de 1947 invite encore à l’action « Guéri… je travaille ». On lutte contre la tuberculose en se projetant dans le futur alors que la lutte contre la covid nous enferme dans l’incertitude et l’idée de lendemains de crise.

Timbre de 1947 contre la tuberculose
Les enfants, agents de propagande
Les enfants deviennent eux-mêmes des agents de la propagande anti-tuberculose. Dans les années 1930, on placarde dans les écoles une liste d’interdits : « il est défendu de cracher à terre, d’essuyer les ardoises en crachant dessus, de tenir dans sa bouche les porte-plumes, les pièces de monnaies, etc… » Les élèves ne doivent pas se limiter à suivre ces injonctions. Ils sont invités à demander des explications à leur professeur. Ce faisant, ils apprennent et comprennent les bons gestes pour éviter la maladie et les ramènent à la maison.

Aujourd’hui, on demande aux enfants de devenir des surveillants de la distance physique. Aussi, dans la publicité anticovid de Noël, on voit une petite fille dans une réunion de famille s’assurer que tout le monde porte un masque à l’apéritif et éloigner les deux nains sur la bûche de Noël. C’est l’illustration parfaite de l’application de la règle sans la comprendre. On est très loin des principes rabelaisiens selon lesquels il faut absorber et digérer les connaissances, c’est-à-dire se mettre en situation de les utiliser à bon escient. Il n’est désormais plus question d’éduquer des petits citoyens à l’esprit critique. On conserve l’idée d’en faire des agents de propagande mais on supprime le volet compréhension.
Normaliser les comportements collectifs à travers le marketing de la honte
La propagande de santé publique, quelle que soit la maladie traitée, vise à la normalisation des comportements collectifs et à la responsabilisation individuelle en suscitant l’adhésion autour de valeurs fortes, c’est-à-dire en maintenant le lien social et en favorisant l’action.
Ces ressorts de communication développés par la Fondation Rockefeller et donnés en modèle aux institutions de santé publique à travers le monde ont été utilisés tout au long du XXe siècle. On les retrouve par exemple dans les campagnes de pubs contre la syphilis puis contre le Sida. À chaque fois, on a recherché l’adhésion du spectateur sans le stigmatiser ni le culpabiliser.
Il semblerait que la culpabilisation soit utilisée pour la première fois dans le cas de la prévention contre une maladie par les institutions de santé publique dans les campagnes contre la covid. La culpabilisation avait en effet déjà été utilisée pour les campagnes de sécurité routière mais elle pointait du doigt les conséquences de comportement hors-la-loi comme téléphoner au volant. Contracter une maladie, jusqu’à aujourd’hui, n’est pas un délit. Ce procédé culpabilisateur porte un nom : « le marketing de la honte ». Il est né dans les années 1920 aux États-Unis et il est utilisé essentiellement dans l’univers des cosmétiques car l’acheteur complexé passe plus facilement à la caisse.

Pub américaine pour le déodorant Odorono, 1939
Le procédé est malveillant et passablement cynique. On s’étonne de le voir plébiscité par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Encore une fois, recourir à la culpabilité pour faire adhérer la population à un message qui devrait reposer sur le bon sens souligne le changement de paradigme social que nous vivons. Puisque nous sommes dorénavant une société régie par l’émotion, l’État a utilisé une ficelle émotionnelle dans sa propagande anti-covid. Voyant le succès mitigé de cette campagne culpabilisatrice, le Ministère des Solidarités et de la Santé mise désormais sur un spot plus joyeux et sort le 7 février 2021 la publicité #TenirEnsemble.
On y voit pendant 1 min 05 des Français qui ont repris une vie normale… avec masque, en mangeant seul, en ne sortant plus, en limitant leur vie sociale à la bulle familiale à l’exception de ceux qui ont une bonne raison de sortir pour travailler comme les pompiers, les éboueurs et les soignants. Le spot met en scène une résignation joyeuse. L’idée est d’être mobilisé. Pas de vaincre. On met en scène l’effort mais pas le bout du tunnel, pas la réflexion. Le spot #TenirEnsemble est une ode à la docilité.
Est-ce vraiment une société privée de raison, du goût de la liberté et du sens de la responsabilité que nous voulons léguer à nos enfants ? Maintenant que nous vivons dans l’attente de la vaccination qui contribuera dans les années à venir à la maitrise de la maladie, il serait temps de commencer à nous poser ces questions.
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La multiplication des tests PCR dans la population laisse entrevoir une augmentation très nette du nombre de cas dit « positifs » au SARS-CoV-2, poussant le gouvernement à prendre des mesures de plus en plus restrictives pour freiner l’épidémie. Néanmoins, la réalité de la situation reste discutable.
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ENTRETIEN. Marie-Estelle Dupont est psychologue clinicienne et psychotérapeute. Spécialiste de l’approche par la parole, elle a travaillé plusieurs années à l’hôpital avant d’exercer en libéral. Elle livre aujourd’hui à Bas les masques son point de vue sur la gestion de la crise sanitaire.